Tétrapodes VS Récif Corallien… un combat inégal…

Chaque jour, ce sont près de 60 000 véhicules qui empruntent la route du littoral (ou route de la Corniche, car elle passe au pied de falaises hautes de 200 mètres). Cette route nationale est stratégique car elle relie le port de commerce au chef lieu de l’île et à son aéroport.
Lors de sa construction en 1976, six fois moins de véhicules l’empruntaient chaque jour. Conséquences aujourd’hui ? Véhicule en panne et accident provoquent de monstrueux bouchons. Mais même sans cela, les usagers qui se rendent à leur travail, chaque matin, doivent subir les inévitables embouteillages à l’entrée de Saint-Denis.

Mais cette quatre voies a une autre particularité… elle est dangereuse : chutes de pierres de la falaise (en mars 2006, une masse de 35 000 m3 de roches s’effondre sur la route, causant deux morts et la fermeture de la route durant 1 mois), forte houle qui arrose copieusement les voitures rendant la visibilité nulle ou encore falaise transformée en cascade lors d’épisodes de fortes pluies.

Chute d’un pan de falaise en mars 2006.
source photo : Préfecture de la Réunion

Lors du passage d’un cyclone à proximité de nos côtes, des vagues s’abattent sur les véhicules qui empruntent la route en Corniche.
Source photo : Reunionhit

 

Lors des épisodes de fortes pluies, la falaise entière se transforme en cascade. Impressionnant pour les automobilistes !

Tous ces aléas entraînent alors le basculement de la route ( la 2×2 voies se transforme en 2+1 voies – ce qui est le cas en moyenne 64 fois par an – entraînant des embouteillages au pied des falaises ) ou sa fermeture, obligeant les usagers à emprunter la route de la Montagne, beaucoup plus longue, plus étroite et tout aussi dangereuse (risques de chutes de pierres).
De plus, la route en Corniche est une voie qui coûte très chère en sécurisation (pose de filets sur la falaise, dynamitage des blocs menaçant de tomber…) et en entretien (réparations des dégâts causés par la houle et les chutes de pierre)

Filets à flanc de falaise permettant (soi-disant) de canaliser les chutes de pierres. Source photo : mi aim a ou

Basculement de la route de la corniche en 2+1 voies. Un inévitable embouteillage se créé dans le « canal bichique ». Pas rassurant d’être coincé au pied d’une falaise instable ! Source photo : IPR

La Route de la Corniche… ou la route de la peur, comme le chantait si bien Michel Admette :

Aussi, pour mettre fin à toutes ces galères, plusieurs propositions avaient été avancées, comme la création du Tram-Train (rame de quarante mètres de long pouvant transporter jusqu’à 250 passagers). Après de nombreuses (et coûteuses) études qui avaient permis d’en définir les différentes options possibles, le projet du Tram-Train fut finalement abandonné en 2010, par la nouvelle majorité du Conseil Régional.
La solution qui a été choisie consiste en l’abandon de l’actuelle route du littoral au profit de la Nouvelle Route du Littoral (NRL), combinaison de viaducs en mer et de digues. En étant plus éloignée de la falaise, cette voie devrait permettre d’assurer la sécurité des usagers, en leur évitant les innombrables, et mortelles, chutes de pierres. Construite sur pilotis, elle sera conçue pour résister à des rafales de vent de 150 km/h et des vagues de 10 m.
Cette route, longue de 12, 5 km, se composera d’une 2×3 voies (dont une voie pour le futur Transport en Commun en Site Propre (TCSP), d’une bande d’arrêt d’urgence, de voies cyclistes. La vitesse sera limitée à 90 km/h et aucun péage ne devrait être ajouté. La NRL devrait être mise en service en 2019 / 2020.

Mais même si cette route ne possédera pas de péages, cela ne signifie pas pour autant qu’elle sera gratuite pour les usagers. En effet, au vu du montant total des travaux que nécessite cette Nouvelle Route du Littoral (1,66 milliards d’euros au total financés par l’Etat et l’Europe, ce qui fait à peu près 133 millions d’euros le kilomètre de route !), du dépassement, estimé à 600 millions d’euros, dû à l’augmentation des prix du BTP et d’inévitables dépenses imprévues, la facture finale risque d’être lourde… très lourde même. Le collectif « Non à la Nouvelle Route du Littoral » estime que le budget avoisinerait les 3 milliards d’euros. Et qui devra mettre la main à la poche afin de financer ce dépassement ? Le contribuable réunionnais ? Encore !

Répartition du financement de la nouvelle route du littoral
( pour un budget estimé à 1,6 milliard d’euros.)
Source : Le Figaro

Et oui… construire une route en mer, de Saint-Denis à la Possession, dans une zone où sévissent les cyclones, nécessite de bâtir un ouvrage capable de résister à la houle cyclonique… Et cela coûte cher… Très cher… La Réunion doit-elle vraiment se targuer de bâtir la route la plus chère de France au kilomètre ?

Mais cette Nouvelle Route du Littoral ne fait pas l’unanimité chez les Réunionnais, loin de là. De plus en plus de voix s’élèvent contre ce projet pharaonique et de nombreuses interrogations surgissent :
* Pourquoi, à l’heure où l’on parle de transition énergétique, avoir préféré ce projet dédié au tout automobile ? (rappelons que l’un des principaux objectifs de la loi de transition énergétique est : « donner la priorité aux transports propres »)
* Peut-on vraiment être en sécurité sur une digue située à 30 mètres au-dessus de l’Océan Indien ? Cet ouvrage résistera-t-il vraiment aux cyclones ? A l’érosion de la mer ?
* Quels sites naturels de l’île fourniront les millions de tonnes de matériaux nécessaires au projet ? Et quel sera le coût et l’impact environnemental d’une telle extraction ?
* Quel sera l’impact sur les fonds marins de la construction de ces digues ?

NRL

photomontage

Et en ce moment, c’est bien cette dernière question qui est au coeur de la tourmente. Car l’impact sur les fonds marins a déjà bien eu lieu, alors que le chantier ne fait que commencer !
Et le premier a être menacé de destruction est une magnifique formation corallienne – « le Récif des Lataniers » – décrite par les scientifiques comme présentant un intérêt écologique majeur car réunissant toutes les caractéristiques d’un lagon en formation. Ce récif s’étend sur près de 250 mètres, le long de la côte, et jusqu’à environ 80 mètres du bord, par une profondeur variant entre 2 et 6 mètres. Il est constitué d’une grande variétés de coraux dont certains atteignent 4 à 5 mètres de haut.

Récif des Lataniers
Source photo : Réunion Orange

Et pourtant dans un avis du 22 octobre 2009, l’Autorité Environnementale (Ministère de l’Ecologie), avait rappelé la nécessité de sauvegarder ce site : « Il est impératif que la préservation des milieux naturels fragiles et en particulier que le banc de corail (Banc des Lataniers) identifié dans la baie soit sauvegardé ».

Récif des Lataniers
Source photo : IPR

Les bâches tendues, censées protéger le récif du chantier, se révèlent inefficaces et dangereuses. Comment, en effet, pourraient-elles empêcher les boues – qui seront générées par les 10 millions de tonnes de matériaux nécessaires à la construction de l’échangeur de la Possession – de recouvrir le récif, alors que la houle s’est chargée de les décrocher ? Car ces bâches, qui auraient dû être enlevées à chaque fois qu’une forte houle menaçait la côte (et qui ne l’ont pas été !!), flottent entre deux eaux et s’entremêlent aux coraux, brisant les fragiles constructions des polypes.

Des bâches décrochées.
Source photo : Réunion Orange

Autre menace, les tétrapodes censés protéger le chantier de la houle, mais que celle-ci fait lentement glisser vers le banc, écrasant inexorablement les coraux.

Les tétrapodes menacent le récif.
Source photo : Surfrider

Et que penser de cette couche de sédiments, générée par le chantier, qui s’amoncelle, recouvrant les coraux et les tuant ?

Et dire qu’un avis défavorable avait été émis par les 22 spécialistes du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) de La Réunion avant même le début du chantier !

Petit cours de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre)…

On ne trouve les coraux que dans les mers chaudes du globe, celles situées dans les zones intertropicales. Les récifs coralliens couvrent environ 284 000 km2, soit 15 % de la surface des fonds de 0 à 30 m de l’océan mondial.

Répartition mondiale des principaux récifs.
source image : Base de connaissances sur les coraux des Mascareignes (Université de la Réunion)

Les coraux ont besoin de certaines conditions pour se développer : lumière, salinité, température de l’eau, qualité du substrat, courants, qualité des eaux, présence de nutriments.

polype

source image : IRD

Si ces facteurs environnementaux ne sont pas réunis, les coraux ne peuvent se développer (comme c’est le cas à proximité des deltas du Gange ou de l’Amazone où le taux de salinité de l’eau est insuffisant). Et une modification d’un de ces facteurs peut entraîner la mort des coraux.

La reproduction de ces animaux (et oui, les coraux ne sont ni des végétaux ni des minéraux, mais des animaux) varie selon l’espèce. Certaines ont une reproduction sexuée alors que d’autres ont une reproduction asexuée par bourgeonnement des polypes.

Petit rappel sur la reproduction des coraux (je cite ici un court extrait d’un document pédagogique de SVT à destination des écoles, collèges et lycées) :

 » (…) Parmi les espèces qui se reproduisent de façon sexuée, certaines espèces de coraux vont produire des gamètes tout au long de l’année, alors que d’autres ne produiront des gamètes qu’une à deux fois par an, massivement, en étant synchronisées. Dans le sud ouest de l’Océan Indien, c’est le cas des Acropora sp.. Quelques jours après la pleine lune des mois de septembre, octobre ou novembre, ces coraux branchus libèrent des petites boules roses dans l’océan. Les polypes commencent à libérer ces amas d’ovules et spermatozoïdes ou d’oeufs, tous en même temps. Le phénomène dure quelques minutes à une heure ou deux. (…)
(…) Après fécondation, les oeufs donnent rapidement naissance, en quelques heures, à de petites larves ciliées appelées planulas.  (…) Attirées par la lumière, ces larves vont monter à la surface et se joindre au plancton. Cette étape de vie libre, au cours de la reproduction sexuée va permettre aux coraux habituellement fixés, de conquérir, au gré des mouvements marins, de nouveaux milieux et d’assurer la dissémination de l’espèce. Mais dans cette quête, de nombreuses planulas périront.
Après avoir voyagé plusieurs jours dans le plancton, les planulas tombent sur le fond pour se fixer en s’étalant sur un substrat dur. Elles se métamorphosent pour donner un polype (petite amphore à tentacules) qui élabore tout d’abord un plancher calcifié puis la muraille de sa première loge. C’est ensuite la reproduction asexuée qui va assurer l’extension de la colonie. Après s’être étalée sur le substrat dur afin de constituer une assise solide, la colonie va croître en hauteur, en volume. Le polype va construire un, puis plusieurs étages dont il occupera toujours la dernière loge. Pour se fixer et constituer une nouvelle colonie, la larve doit trouver un espace libre. (…) »

 

 

Second petit rappel, cette fois sur la croissance des coraux et le rôle des récifs :

Selon les espèces de coraux, la croissance peut aller de 4 à 35 micromètres  par an (1 micromètre = 0,0001 cm) pour les plus lentes (comme pour les espèces Gerardia et Leiopathes, mais qui en contrepartie atteignent des records de longévité avec, respectivement,  2.742 ans et 4.265 ans ) à 10 cm par an pour les espèces à croissance rapide.
Un récif corallien est surtout un écosystème à part entière avec ses habitants – poissons, algues, oursins, anémones de mer, coquillages… – qui trouvent dans les récifs, abri, protection, nourriture et zone de reproduction. Une biodiversité qui doit être protégée car actuellement, l’écosystème récifal, qui repose principalement sur la bonne santé du corail, est en danger.

Pour finir, je vous propose ce documentaire de « c’est pas sorcier« , tourné en Nouvelle Calédonie. Une petite plongée dans les récifs coralliens pour aller à la rencontre des animaux et des végétaux qui y vivent. Bien que la Réunion ne possède ni mines de nickel, ni mangroves, la nécessité de préserver les récifs coralliens reste la même.

Sources:
Grands Chantiers Régionaux (Région Réunion)
Ministère de l’écologie, du développement durable et  de l’énergie
Base de connaissances sur les coraux des Mascareignes (Université de la Réunion)
Clicanoo
Le Figaro

ImazPress
ATR-Fnaut
Collectif non à la Nouvelle Route du Littoral
7lameslamer

Des gouzous sur la corniche

La semaine dernière, en quittant Saint-Denis pour me rendre dans l’ouest, je jette un regard distrait sur la route de la corniche qui se profile devant moi et que je vais devoir traverser. Et là, quelque chose m’interpelle… un petit détail qui a changé…

Regardez ces deux photos prises à quelques semaines d‘intervalle. Avez-vous trouvé ?

route de la corniche vue depuis le Barachois

Le route de la Corniche vue depuis le Barachois

Bon, c’est vrai que sur les photos ce n’est peut-être pas flagrant… Alors j’agrandis la seconde… voilà :

détail

Et, oui, le tunnel…  le tunnel de la route de la corniche est devenu bleu ! Je pense tout de suite à Jace (rappelez-vous, je vous avez présenté quelques-uns de ses graffitis sur la page consacrée au street art à Saint-Denis). Je suis sûre qu’il est l’auteur de cette immense fresque. Il n’y a que lui pour faire un truc pareil !
Je dégaine mon appareil photo, le règle en mode rafale et demande à mon chauffeur… pardon, mon mari, de ralentir, bien que cela ne soit pas évident sur une voie rapide. La fresque est magnifique, pleine de petits gouzous, tous plus rigolos les uns que les autres. Elle parle de la Réunion, avec ses cars jaunes, ses cachalots (le camion de transport de cannes ) ses baleines, ses pêcheurs à la gaulette…
Mais là, déception, les photos ne révèlent pas l’intégrité de la fresque… il me manque toute la partie inférieure, masquée par le mur de séparation de la quatre voies.
Toute la journée, je ronge mon frein, impatiente de repasser sur la route de la corniche pour rentrer sur Saint-Denis (c’est bien la première fois que cela m’arrive, car je déteste cette route).
Donc, en revenant sur Saint-Denis, le soir même, je m’en donne à coeur joie en mitraillant la fresque qui apparaît dans son intégralité . Cette fois, c’est dans la boite !

Pour réaliser cette fresque de 7 mètres de haut et de 70 mètres de long, il a fallu à Jace 24 heures de travail, dont 21 heures de nuit, 200 bombes de peinture et 80 litres d’acrylique.

 

Je voulais aussi vous montrer cette petite vidéo de Jace en plein travail sur un autre graffiti, seulement visible lorsque l’on passe au-dessus du bâtiment (ou que l’on monte sur le toit).