Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les premiers Gujaratis arrivent à la Réunion. Bien qu’ils ne soient pas les premiers musulmans à poser les pieds sur l’île, ils n’ont pas l’intention de pratiquer leur religion dans l’ombre.
Ce sont eux qui rendra visible la présence de l’islam dans l’espace public réunionnais. S’ils obtiennent au début du XXème siècle l’autorisation de bâtir une mosquée, la création d’un cimetière musulman s’avéra plus compliqué à réaliser.
L’île de la Réunion est un lieu de mélange de peuples, de cultures et de religions. Si la ville de Saint-Denis peut se targuer de posséder la première mosquée de France, inaugurée en 1905, elle peut aussi revendiquer le premier cimetière musulman de France.
Petit retour en arrière…
Jusqu’au début du XXème siècle, les indiens originaires de l’état du Gujarat (ouest de l’Inde) et de confession musulmane étaient enterrés au Cimetière de l’Est, où huit tombes leur avaient été attribuées dans un espace non béni.
Mais en 1900, les commerçants gujaratis de Saint-Denis veulent posséder leur propre lieu de sépulture pour enterrer leurs morts dans le respect du Coran.
Mais leur demande de créer un cimetière musulman – adressée au Gouverneur de l’île – se voit refuser. En effet, une loi de 1881 interdit l’existence de cimetières confessionnels et un décret de la ville de Saint-Denis, daté de 1884, interdit toute différence de traitement fondé sur des différences de croyances.
Pour contourner le refus de l’administration, un commerçant gujarati achète, en 1911, un terrain de 3150 m2 situé juste en face du Cimetière de l’Est, de l’autre côté de la voie de chemin de fer. Profitant d’un changement de majorité parmi les élus locaux, les commerçants gujaratis renouvellent leur demande de création d’un cimetière musulman.
Une enquête de commodo incommodo est alors ouverte. Mais dans le quartier du Butor – concerné par l’implantation du futur cimetière – la colère gronde parmi les riverains. Les habitants ont peur. De quoi ? Pas seulement des risques sanitaires inhérents à la proximité d’un cimetière, mais surtout des âmes errantes. Car dans l’imaginaire créole de l’époque, les âmes non baptisées, qui n’ont pas reçu de sépulture chrétienne, ne peuvent trouver le repos éternel. Elles sont alors condamnées à errer indéfiniment et torturent les vivants.
Malgré l’opposition des habitants du Butor, la mise conformité des lieux est réalisée et dans la foulée, le 25 juin 1912, l’autorisation tant espérée par les Gujaratis, est accordée. Sans attendre, les travaux d’aménagements sont entrepris.
En 1915, la Réunion possède le premier cimetière musulman de France. Mais en 1980, suite à une erreur, l’orientation des tombes doit être rectifiée afin que – conformément aux prescriptions coraniques – la tête des sépultures soient tournées vers l’est, vers la Mecque.
Le contraste entre les cimetières catholiques de l’île et le cimetière musulman sunnite de Saint-Denis est frappant. Si dans les premiers les tombes sont toujours chargées de fleurs fraîches, dans le second, tout n’est que sobriété. Quelques frangipaniers étendent leur ombre sur des tombes qui ne trahissent pas les origines sociales des membres de la communauté. Contrairement à ce que l’on voit dans les cimetières catholiques, ici pas de caveaux de marbre ou d’imposantes pierres tombales, ni de mausolée démesuré ou de visage des défunts sur les stèles. Hormis quelques anciennes tombes marquées en gurajati, toutes sont semblables : un rectangle de terre battue entouré d’un bas muret de ciment et une petite stèle de ciment blanc qui porte l’identité des défunts, écrite en français et parfois en arabe.
Ici, comme à la mosquée, on ne rencontre pas de femmes – ou très exceptionnellement – et seulement accompagnées de leur mari. D’ailleurs, les femmes n’assistent pas aux enterrements.
Ce cimetière appartenant à la communauté, les familles n’ont pas à acheter de concession.
source :
Extrait de l’intervention de Marie-France Mourregot – Docteur en anthropologie sociale et historique à l’EHESS Paris – lors du colloque « dialogue des cultures dans l’océan indien occidental (XVIIéme-XXéme siècles) » (Saint-Denis, 11/2008)