Errance animal (4) : Toffee – partie 1

Dans la série « animaux trouvés », voici un nouvel épisode. Un épisode éprouvant pour mes nerfs et qui, aujourd’hui, connaît un heureux dénouement. Un nouvel épisode qui prouve, une fois de plus, que l’errance animale est un vrai problème dont les animaux sont les victimes innocentes.

Tout a commencé, il y a maintenant trois semaines.

Ce lundi 18 septembre, je reviens de l’entraînement de running avec Melba. Et oui, la miss, s’y est mise. Actuellement elle fait 8 km cinq fois par semaine en course rapide et deux jours de récupération avec cinq kilomètres aux côtés de ma fille – une « très grande sportive de haut niveau » (!) – en trottinant. Melba adore courir ! Le matin, quand elle me voit en tenue, elle ne tient plus !

Melba en tenue pour une randonnée. Chacun porte son ravitaillement !

Donc, je revenais d’un entraînement avec Melba et il ne nous restait qu’une centaine de mètres avant de franchir la ligne d’arrivée… pardon, le portail de la résidence, lorsque Melba pile net sur le trottoir. Je me retourne pour l’encourager à courir et je m’aperçois qu’elle renifle une petite boule de poils blanche et rousse.  Je m’approche et je découvre un chaton. Je suis surprise de le voir si exposé sur le trottoir. Il est tout petit et sa mère n’est pas là. Comme sur le parking de la résidence vivent des chats errants, je pense tout de suite à une des chattes qui a mis bas, il y a à peu près deux mois et que j’ai aperçue, deux jours auparavant, avec trois chatons dont, un blanc et roux. Enfin, blanc, c’est tout relatif, car se faufilant dans les moteurs de voitures, les chatons tirent plutôt sur le gris cambouis.
Je prends le chaton dans mes mains, pensant qu’il a dû quitter l’abri où sa mère cache ses petits et qu’il ne parvient plus à le rejoindre. Melba remue la queue, toute contente que je m’intéresse à sa trouvaille (elle adore les chats et en particulier les trois femelles qui vivent sur le parking !). Mais le chaton se met à hurler comme un dément, me griffe la main et le bras, me mord. Jamais je n’avais entendu un chat hurler comme ça ! Tout le quartier doit l’entendre et penser que je le torture ! Je mets ses cris sur le compte de la peur : une grosse truffe de Melba, puis des mains qui le saisissent, cela a de quoi être effrayant pour un petit chaton n’ayant connu que sa mère et sa fratrie.
Mais j’étais bien loin de la réalité !…
J’ai peur de le lâcher et je me dépêche de rejoindre la résidence, dans l’espoir de trouver la chatte. Une voisine me confirme qu’elle a déjà vu ce chaton avec la chatte brune (qui se trouve être la même qui m’a laissée, trois ans auparavant, un chaton de trois semaines sous ma voiture : ma belle Léïa !).

Léïa prend la pause pour la photo !

Dans mes mains, le chaton s’est calmé, il me regarde avec ses yeux bleus de bébé. Son regard me bouleverse. Melba découvre la chatte sous une voiture. Je pose le petit tout tremblant par terre. Elle s’approche, le renifle, lui donne des coups de langue et me feule (drôle de façon de me remercier de lui avoir ramener son chaton !). Le petit fait quelques pas, mais sa démarche m’intrigue. Il semble ne pas pouvoir se dresser sur ses pattes arrière. Bizarre pour un chaton qui est censé avoir presque deux mois !
Je ramène Melba à l’appartement, mais je n’arrive pas à m’ôter le chaton de la tête. Je suis heureuse de l’avoir rendu à sa mère, mais lorsque je repense à ses cris et à sa démarche, je suis prise d’un mauvais pressentiment.
Je redescends au parking, mais la chatte et son petit n’y sont plus. Je tente de me raisonner, de me dire qu’il est mieux avec sa mère et qu’elle a dû le ramener dans son abri. Pourtant tout le reste de la journée, j’ai un poids sur l’estomac et mes pensées me ramènent au chaton.
L’après-midi, je tourne dans la zone où Melba a trouvé le petit. J’essaie même de suivre la chatte. Mais je fais chou blanc. Lors de la promenade de Melba, je demande à la chienne de chercher le chaton. Mais elle me ramène toujours à l’endroit où elle l’a trouvé le matin même.
Le soir, je raconte à mon mari et à ma fille, ma rencontre avec le chaton. Je leur fais part du remord que j’éprouve de l’avoir rendu à sa mère.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai une certitude : je dois le retrouver !

Ce mardi 19 septembre, comme tous les matins, je sors Melba à cinq heures pour faire ses petits besoins. En attendant qu’elle termine, je me dis que je vais repasser là où elle a trouvé le petit, la veille.
Je sursaute. Je viens d’entendre un miaulement. Un miaulement de chaton. Il me semble venir de la droite, là où Melba l’avait trouvé. Un deuxième miaulement. Sur la gauche ? Sur le parking où mangent les chattes à qui je viens de donner des croquettes ? Serait-il avec sa mère ? Je ne sais plus où je dois chercher. Avec tous ces bâtiments, le miaulement se répercute et je n’arrive pas à le localiser. Melba aussi l’a entendu. Elle est aux aguets, le corps tendu, les oreilles dressées. Un troisième miaulement. Je pivote d’un coup à 180 degrés. Il vient de derrière moi, d’un autre parking. Les miaulements continuent. Melba n’attend pas mon ordre et se précipite en direction des miaulements. Mais sur le parking il y une vingtaine de voitures. Sous laquelle ? Je croise les doigts pour que le petit continue à miauler. Je me mets à genoux et inspecte le dessous de chaque voiture. Sous un SUV, j’aperçois une petite forme claire, juste à côté d’un des pneus avant. Je m’approche à tâtons, terrifiée à l’idée que le chaton prenne peur en nous voyant et se glisse dans le moteur. Il ne bouge pas. Je l’attrape d’un geste rapide, pour ne pas lui laisser le temps de m’échapper. Comme la veille, il se met à pousser des hurlements de dément, me laboure la main avec ses griffes et transperce l’un de mes doigts avec ses petites dents. Je l’enveloppe dans mon gilet. Je tremble autant que lui. Mon cœur bat la chamade et j’ai les yeux mouillés. Je suis heureuse de l’avoir retrouvé.
Le chaton dans le gilet, Melba sur les talons et les doigts en sang, je me précipite vers la résidence. Sur le parking, les chattes mangent toujours. La mère du chaton n’a aucune réaction en entendant les miaulements de son petit. Cela me conforte dans l’idée que je ne dois plus lui rendre son petit. Si la veille j’avais cru qu’il s’était égaré, aujourd’hui je n’en suis plus sûre du tout. Comment ce chaton qui avait du mal à se déplacer hier, aurait-il pu se retrouver si loin, tout seul. Je suis persuadée que c’est sa mère qui l’a laissé sous le SUV. Mais pourquoi ? Pourquoi ne répond-t-elle pas à ses miaulements ? Pourquoi le laisser si exposé ?

A l’appartement, les miaulements du chaton ont réveillé tout le monde. Ma fille m’apporte la cage de transport. Je pose le chaton à l’intérieur et nous nous faisons toutes deux la même réflexion : son arrière train à un problème. Serait-il blessé ? Pourtant il n’y a pas de sang. Cassé ? Possible. Paralysé ? Peut-être. Les chattes de la famille s’approchent de la cage, renifle, intriguées.

Je suis devant la clinique vétérinaire dès son ouverture. C’est là que j’avais emmené Ivy après l’avoir sauvée de la quatre voies.

Ivy et ses deux soleils. « le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta » Maurice Carême. Une miss bien ronde et très bavarde !

J’attends avec une impatience mal contenue, l’arrivée du vétérinaire tout en surveillant le chaton. Il est blotti, roulé en boule et sa respiration est rapide. Très rapide. Trop rapide. Est-ce l’émotion, la peur ? Dès qu’il miaule je lui donne un peu d’eau avec une pipette que m’a fournie l’auxiliaire qui m’a accueillie. Il boit. Je trouve que c’est rassurant.

Mais je déchante lorsque je vois le visage de la vétérinaire s’assombrir lorsque celle-ci ouvre la cage pour examiner le chaton. Elle m’annonce d’emblée que sa respiration trop rapide est un mauvais signe. Elle l’ausculte. Le verdict tombe : Le diaphragme a un problème. Probablement une déchirure. Elle observe la couleur de ses mâchoires et de ses paupières. Elle soupçonne une hémorragie interne. Je lui parle de son arrière train qui s’affaisse. Pour elle, c’est soit une fracture, soit une atteinte à la moelle épinière. Elle est pessimiste sur l’état du chaton et ses chances de survie. Elle me propose deux solutions : abréger ses souffrances ou le garder 24 heures en réanimation médicale pour le stabiliser, le nourrir et voir l’évolution de son état. Il est si petit qu’elle ne sait pas si elle pourra le soulager avec des anti-douleurs.
Je dois prendre une décision : le faire euthanasier ou prolonger de quelques heures ses souffrances avec l’espoir infime qu’il puisse être sauvé. Je ne me sens pas bien. J’ai des points noirs devant les yeux, mes jambes se ramolissent. La vétérinaire voit mon malaise, me guide jusqu’à une chaise et l’auxiliaire m’apporte de l’eau sucrée. J’ai envie de pleurer. Si la veille, au lieu de le rendre à sa mère, je l’avais amené à la clinique, son pronostic vital aurait-il été si pessimiste ? Je regarde le chaton. Il respire vite. Il miaule aussi. Il plante ses yeux dans les miens. C’est trop dur. Comme il doit souffrir. Peut-être que la solution la plus raisonnable est celle de faire cesser ses souffrances. Pourtant, quelque chose me retient de prendre cette décision. Je me souviens des paroles du vétérinaire de Léïa lorsque celle-ci était petite et qu’elle avait du mal à s’alimenter : « C’est costaud, un chaton ! ».
Je me lance et demande à la vétérinaire de le garder en réanimation 12 heures pour commencer. On verra comment il évolue et si on prolonge… ou pas.

Le soir même je repasse à la clinique avec Melba. On a changé l’itinéraire de notre promenade pour prendre des nouvelles du chaton. J’ai une boule dans l’estomac durant tout le trajet. Dès que j’ouvre la porte de la clinique j’entends un miaulement. C’est lui, je le reconnais. L’auxiliaire m’emmène dans la salle des soins intensifs. Il est vivant même s’il respire toujours aussi vite. Ils lui ont donné un traitement pour le stabiliser et il accepte de boire du lait pour chaton à la pipette. Melba, qui nous a suivies, se met debout pour regarder le chaton blotti au fond de la cage.

Cette nuit-là, je ne dors pas beaucoup. Je n’ai qu’une hâte, retourner à la clinique pour le voir… en espérant qu’il survive. Toute la nuit, je lui envoie des pensées positives : « bats-toi mon petit » ; « courage ».

vers « Errance animale (3) partie 2 »